Autour de la Lune (XXII-2)

Publié le par jeanphi


Ipourqupourls explorèrent ainsi toute la plaine sous-marine, trompés à chaque instant par des illusions d’optique qui leur brisaient le coeur. Ici un rocher, là une extumescence du fond, leur apparaissaient comme le projectile tant cherché ; puis, ils reconnaissaient bientôt leur erreur et se désespéraient.
«Mais où sont-ils ? où sont-ils ?» s’écriait J.-T. Maston.
Et le pauvre homme appelait à grands cris Nicholl, Barbicane, Michel Ardan, comme si ses infortunés amis eussent pu l’entendre ou lui répondre à travers cet impénétrable milieu !
La recherche continua dans ces conditions, jusqu’au moment où l’air vicié de l’appareil obligea les plongeurs à remonter.
Le halage commença vers six heures du soir, et ne fut pas terminé avant minuit.
«A demain, dit J.-T. Maston, en prenant pied sur le pont de la corvette.
—Oui, répondit le capitaine Blomsberry.
—Et à une autre place.
—Oui.»
J.-T. Maston ne doutait pas encore du succès, mais déjà ses compagnons, que ne grisait plus l’animation des premières heures, comprenaient toute la difficulté de l’entreprise. Ce qui semblait facile à San Francisco, paraissait ici, en plein Océan, presque irréalisable. Les chances de réussite diminuaient dans une grande proportion, et c’est au hasard seul qu’il fallait demander la rencontre du projectile.
Le lendemain, 24 décembre, malgré les fatigues de la veille, l’opération fut reprise. La corvette se déplaça de quelques minutes dans l’ouest, et l’appareil, pourvu d’air, entraîna de nouveau les mêmes explorateurs dans les profondeurs de l’Océan.
Toute la journée se passa en infructueuses recherches. Le lit de la mer était désert. La journée du 25 n’amena aucun résultat. Aucun, celle du 26.
C’était désespérant. On songeait à ces malheureux enfermés dans le boulet depuis vingt-six jours ! Peut-être, en ce moment, sentaient-ils les premières atteintes de l’asphyxie, si toutefois ils avaient échappé aux dangers de leur chute ! L’air s’épuisait, et, sans doute, avec l’air, le courage, le moral !
«L’air, c’est possible, répondait invariablement J.-T. Maston, mais le moral, jamais.»
Le 28, après deux autres jours de recherches, tout espoir était perdu. Ce boulet, c’était un atome dans l’immensité de la mer ! Il fallait renoncer à le retrouver.
Cependant, J.-T. Maston ne voulait pas entendre parler de départ. Il ne voulait pas abandonner la place sans avoir au moins reconnu le tombeau de ses amis. Mais le commandant Blomsberry ne pouvait s’obstiner davantage, et, malgré les réclamations du digne secrétaire, il dut donner l’ordre d’appareiller.
Le 29 décembre, à neuf heures du matin, la Susquehanna, le cap au nord-est, reprit route vers la baie de San Francisco.
Il était dix heures du matin. La corvette s’éloignait sous petite vapeur et comme à regret du lieu de la catastrophe, quand le matelot, monté sur les barres du perroquet, qui observait la mer, cria tout à coup :
«Une bouée par le travers sous le vent à nous.»
Les officiers regardèrent dans la direction indiquée. Avec leurs lunettes, ils reconnurent que l’objet signalé avait, en effet, l’apparence de ces bouées qui servent à baliser les passes des baies ou des rivières. Mais, détail singulier, un pavillon, flottant au vent, surmontait son cône qui émergeait de cinq à six pieds. Cette bouée resplendissait sous les rayons du soleil, comme si ses parois eussent été faites de plaques d’argent.
Le commandant Blomsberry, J.-T. Maston, les délégués du Gun-Club, étaient montés sur la passerelle, et ils examinaient cet objet errant à l’aventure sur les flots.
Tous regardaient avec une anxiété fiévreuse, mais en silence. Aucun n’osait formuler la pensée qui venait à l’esprit de tous.
La corvette s’approcha à moins de deux encâblures de l’objet.
Un frémissement courut dans tout son équipage.
Ce pavillon était le pavillon américain !
En ce moment, un véritable rugissement se fit entendre. C’était le brave J.-T. Maston, qui venait de tomber comme une masse. Oubliant d’une part, que son bras droit était remplacé par un crochet de fer, de l’autre, qu’une simple calotte en gutta-percha recouvrait sa boîte crânienne, il venait de se porter un coup formidable.
On se précipita vers lui. On le releva. On le rappela à la vie. Et quelles furent ses premières paroles ?
«Ah ! triples brutes ! quadruples idiots ! quintuples boobys que nous sommes !
—Qu’y a-t-il ? s’écria-t-on autour de lui.
—Ce qu’il y a ?...
—Mais parlez donc.
—Il y a, imbéciles, hurla le terrible secrétaire, il y a que le boulet ne pèse que dix-neuf mille deux cent cinquante livres !
—Eh bien !
—Et qu’il déplace vingt-huit tonneaux, autrement dit cinquante-six mille livres, et que, par conséquent, il surnage !»
Ah ! comme le digne homme souligna ce verbe «surnager !» Et c’était la vérité ! Tous, oui ! tous ces savants avaient oublié cette loi fondamentale : c’est que par suite de sa légèreté spécifique, le projectile, après avoir été entraîné par sa chute jusqu’aux plus grandes profondeurs de l’Océan, avait dû naturellement revenir à la surface ! Et maintenant, il flottait tranquillement au gré des flots...
Les embarcations avaient été mises à la mer. J.-T. Maston et ses amis s’y étaient précipités. L’émotion était portée au comble. Tous les coeurs palpitaient, tandis que les canots s’avançaient vers le projectile. Que contenait-il ? Des vivants ou des morts ? Des vivants, oui ! des vivants, à moins que la mort n’eût frappé Barbicane et ses deux amis depuis qu’ils avaient arboré ce pavillon !
Un profond silence régnait sur les embarcations. Tous les coeurs haletaient. Les yeux ne voyaient plus. Un des hublots du projectile était ouvert. Quelques morceaux de vitre, restés dans l’encastrement, prouvaient qu’elle avait été cassée. Ce hublot se trouvait actuellement placé à la hauteur de cinq pieds au-dessus des flots.
Une embarcation accosta, celle de J.-T. Maston. J.-T. Maston se précipita à la vitre brisée...
En ce moment, on entendit une voix joyeuse et claire, la voix de Michel Ardan, qui s’écriait avec l’accent de la victoire :
«Blanc partout, Barbicane, blanc partout !»
Barbicane, Michel Ardan et Nicholl jouaient aux dominos.

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